Un conte de Noël (version entrepreneur)
Le spectre de M. Bolduc
L’histoire se déroule la veille d’une fermeture de chantier avant les vacances de Noël, par un froid glacial, exactement sept ans après la mort de Richard Bolduc, l’associé d’Alfred Avard. Entrepreneur en construction depuis près de 25 ans, M. Avard porte bien son nom. De plus, il est têtu comme une mule. Il ne laisse personne lui dire quoi faire, encore moins comment. Ça fait 25 ans qu’il fait ça de même, pourquoi changer?
Alfred Avard déteste les fermetures de chantier. Deux longues semaines de fermeture complète de ses chantiers, quelle perte de temps et d’argent! À contrecœur, il a cédé à la demande de son contremaître en laissant les travailleurs et travailleuses quitter à midi pour les festivités de Noël.
Dans la roulotte de chantier, assis à son bureau pour remplir de la paperasse, M. Avard voit soudain apparaître dans le cadre de porte le visage de Richard Bolduc. « Foutaise », se dit l’entrepreneur, alors que les outils se mettent à vaciller dans tous les sens avec fracas. M. Avard voit le spectre tout entier de Richard Bolduc prendre forme, même si le corps est si transparent qu’il peut voir son chantier au loin au travers son associé pourtant décédé.
Bolduc a un message à transmettre : Alfred Avard doit changer de comportement, à défaut de quoi il essuiera des pertes financières considérables, causées par des corrections de travaux et du temps précieux passé à tenter de régler des conflits facilement évitables. De toute façon, il sera hanté par trois esprits chargés de lui montrer comment quitter le mauvais chemin.
Le premier des trois esprits
Sous les douze coups de minuit, M. Avard remarque une étrange silhouette, celle d’un jeune entrepreneur en début de carrière. C’est l’esprit des Noëls passés qui l’invite à revivre une expérience où, trop entêté et gratte-sou, il a perdu beaucoup.
L’esprit du passé le ramène quelques années en arrière, lors de la réalisation d’un projet de développement domiciliaire pour lequel il avait engagé un nouveau coffreur. Ce dernier lui avait alors demandé : « les cheminées d’accès et de nettoyage, on en installe ou pas? » Avard lui avait donné la directive de ne pas en installer, considérant qu’à 50 $ le bâtiment, c’était une dépense superflue. Bien que la norme BNQ 3661-500 fasse partie du CCQ 2015, elle exige l’installation de cheminées seulement s’il y a un risque de colmatage.
Il revoit l’inspecteur de la Ville le mettre en infraction pour ne pas en avoir installé. Il revoit surtout les milliers de dollars sortir de ses poches lorsqu’il a dû excaver et installer des cheminées pour se conformer à la règlementation municipale. De quoi émouvoir le vieil entrepreneur. Aigri d’avoir perdu de l’argent, il prie l’esprit de lui épargner d’autres souvenirs semblables. Épuisé par tant d’émotions, il s’écroule sur son lit et sombre dans un profond sommeil.
Le deuxième des trois esprits
Une heure sonne à l’horloge, M. Avard ne remarque aucun signe de l’arrivée d’un nouvel esprit. Toutefois, une lumière émane de la pièce d’à côté. Il ouvre la porte et tombe face à face avec un esprit gigantesque qui trône au-dessus de son bureau, où sont déroulés les plans de son nouveau projet. C’est l’esprit du Noël présent qui l’amène dans les rues pour le conduire au chantier de son compétiteur le plus féroce, où règne un suivi de chantier rigoureux.
Il voit des sous-traitants s’affairer non pas avec des outils, mais munis de listes, crayons en main. En s’approchant davantage, il remarque que ce sont des fiches de points de contrôle. Il distingue précisément la fiche E6-F1 qui porte sur les revêtements de plancher de bois franc et se souvient amèrement de la fois où une altercation était survenue entre lui et son sous-traitant parce qu’il avait dû reprendre un plancher de bois franc en entier, et qu’il n’y avait aucune trace écrite des taux d’humidité minimaux requis.
Il remarque aussi la fiche E6-F2 qui porte sur le carrelage. Sa mémoire lui renvoie immédiatement un souvenir précis, la fois où il n’avait pas lu les directives du manufacturier, tout comme son collègue Pierre, dont l’histoire identique avait fait l’objet d’une chronique : Faites chauffer la colle!
L’esprit amène M. Avard vers le bureau de l’entrepreneur général de ce chantier. Sur sa table de travail, il distingue un livre dont il avait eu vent sans toutefois y prêter attention : Le Recueil des points de contrôle. L’esprit tourna les pages pour lui. C’est ainsi qu’il put distinguer deux sections : l’une réservée à l’entrepreneur général et l’autre, aux sous-traitants. Cette scène le sidère et l’éclair à la fois.
Grâce à cet outil, non seulement les suivis de chantier sont simples, mais des traces peuvent être facilement conservées dans les dossiers advenant un litige. Une idée commence à germer : il doit se procurer ce recueil auprès de son association. Dans un épais brouillard, M. Avard voit l’esprit du présent glisser au sol et disparaître.
Le dernier esprit
Deux heures sonnent à l’horloge. D’emblée, M. Avard est entraîné par l’esprit des Noëls de l’avenir dans une salle d’audience. Il distingue ses clients, à qui il a livré une maison il y a quelque temps et qui ont ouvert un dossier de réclamation auprès du plan de garantie obligatoire. Il remarque également la présence d’un conciliateur et d’une femme, sans doute l’arbitre. Soudain, il se voit entrer dans la salle, en retard, ce qui ne fait pas très bonne impression.
Avard demande à l’esprit de l’avenir ce qui se passe. Celui-ci lui répond : c’est l’arbitrage. Celui pour lequel tu ne t’es pas présenté à la conciliation et auquel tu n’as pas donné suite à tes clients, car tu estimais que tu n’avais pas à faire de travaux. Tu sais, Avard, les absents ont toujours tort!
Sur ces mots, l’esprit traîne Avard dans son propre bureau. Ce dernier se voit décacheter une enveloppe et y retirer des papiers, la décision arbitrale, laquelle est finale et sans appel. Il devra reprendre la majorité des travaux, à grands frais, bien que ce ne soit pas justifié, ce qui pourrait bien le mener à la faillite. Les temps sont durs et il réalise maintenant que, dans une telle situation, l’important, c’est la préparation.
« Esprit, s’écrie-t-il, pourquoi me montrer toutes ces images si je suis condamné à de telles pertes? »
En se ruant à la fenêtre et en tirant les rideaux, il découvre un matin ensoleillé. C’est le jour de Noël et Avard compte bien profiter du temps des fêtes avec sa famille et ses amis. Mais avant, il relit la mise en demeure de ses clients, leur répond par courriel et prépare son dossier. Au retour des vacances, il communiquera avec un conseiller technique pour se faire aider afin de régler les points discutables.
Il pense aussi à se procurer des coffrets de la Trilogie des recueils afin de les offrir à ses employé·e·s.